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« Monsieur le Président… permettrez de relever que vous ne paraissiez pas à l’aise » (Par Abdou Latif Coulibaly)

Le Chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, abdique ses responsabilités, en décidant volontairement de transférer toutes ses prérogatives à son Premier ministre. Il change la nature de notre armature institutionnelle, en devenant un monarque régnant pour laisser le Premier ministre conduire le destin de cette nation. Cette nouvelle organisation institutionnelle éprouve encore de la pudeur à décliner son nom et son identité. Le président Faye a choisi la facilité en enfilant le costume d’un monarque républicain régnant sans gouverner. Une légitimité populaire ne saurait justifier une telle hérésie politique en l’état actuel de notre démocratie. Elle mérite mieux que ce qui se passe sous le nouveau régime.

On critiquait souvent la mainmise sur tout d’un président omnipotent, on en arrive aujourd’hui, par la volonté d’une seule personne, à l’ère d’un Premier ministre qui, au-delà de son omnipotence, est un omniscient. Une tragédie, j’allais dire. Monsieur le président de la République, avec le respect que nous vous devons, vous me permettrez de relever que vous ne paraissiez pas à l’aise, dans votre vaine tentative de démontrer, qu’en arrivant au pouvoir, le 2 avril dernier, vous avez trouvé un pays en ruine. Le discours stigmatisant sur la gestion financière, les attaques contre la gouvernance sortante et autres arguments n’ont pas pu aider à rendre crédible l’argumentaire. Ce fut laborieux, pour ainsi dire. Croyez-le bien. Vous étiez davantage moins crédible, quand vous avez essayé de justifier, pourquoi vous avez raison de dissoudre l’Assemblée nationale, alors que vous l’aviez, vous-même, convoquée, pour entre autres, recevoir et débattre de la Déclaration de Politique générale de votre Premier ministre, Ousmane Sonko.
Ce dernier s’est obstinément refusé de présenter cette DPG. Par peur de quoi ? Sommes-nous tentés de nous interroger. Nul ne sait vraiment. Nous nous demandons ce qui se passe derrière cette crainte, non explicitement manifestée, de venir confronter les députés. Il nous paraît évident qu’il y a une irrationalité certaine qui taraude l’esprit du Premier ministre au point de l’amener à organiser légalement un non débat, avec la complicité de son patron supposé. Excellence, en écoutant votre adresse à la nation, diffusée sur les antennes des télévisions locales et les médias électroniques, en ce début de soirée du jeudi 12 septembre 2024, nous avons bien compris et saisi clairement la dimension du parjure dont vous vous êtes rendu coupable, en décidant de ne pas « respecter, encore moins de faire respecter la Constitution » du pays. Cette phrase emblématique que nous citons se présente pourtant comme l’un des termes les plus significatifs du texte légal sur lequel s’appuie le serment que prononce tout Chef d’État entrant en fonction au Sénégal.

Vous êtes apparu sur les écrans, en laissant constater une colère intérieure, au moment où vous preniez la parole. Nous supposons que vous avez été mis dans cet état, par les parlementaires qui vous auraient manqué de respect. Selon vous, ils vous auraient forcé les textes, en s’arrogeant des pouvoirs qui relèveraient de façon stricte de votre domaine de compétence, tel que défini par des dispositions pertinentes de la Constitution. Nous soulignons que nul ne vous contestera le fait que la Constitution vous réserve le pouvoir exclusif de dissoudre l’Assemblée. Et a fortiori celui de convoquer les députés en session extraordinaire, entre deux sessions ordinaires du parlement. Il vous réserve en même temps une place quasi prépondérante dans la détermination de l’agenda des parlementaires. Il n’empêche, il nous plaît de souligner à votre attention qu’une décision présidentielle est délicate.
Elle est trop importante en ce qu’elle peut s’avérer lourde de conséquences, pour le futur et la stabilité d’un pays. C’est pour cette raison, qu’elle doit se garder de procéder d’une quelconque ruse, encore moins d’une roublardise hasardeuse. Elle doit surtout éviter de se fonder sur une soif inextinguible de vengeance ou sur l’envie d’humilier. Elle ne doit nullement procéder de circonstances pouvant laisser croire aux citoyens concernés, qu’elle est le produit d’une ruse malicieuse qui écrase. Nous disons cela, en pensant aux mots de l’académicien français Jean D’Ormesson, quand le journaliste, romancier et essayiste publie un ouvrage intitulé : Je dirai malgré tout que cette vie fut belle (2016) . L’auteur écrit : « Confucius le savait déjà à l’époque de Platon et de Sophocle, il faut prendre garde aux mots. Une langue qui faiblit, c’est un pays qui vacille ». Face à votre décision prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, nous avons envie de dire que, quand c’est la langue d’un Chef de l’Etat qui faiblit, elle fait vaciller son pays et le met en danger d’instabilité. Excellence, la vôtre a dramatiquement faibli, ce jeudi 12 septembre quand vous avez volontairement décidé de défier l’opinion nationale, en reniant votre parole donnée. Vous avez offert à vos partisans une occasion de jubilation. Ils crient victoire, en savourant les délices d’un plat de vengeance glacé. Contre qui, vous et eux avez-vous gagné ? Qu’est-ce que vous avez finalement gagné ? A mon avis, vous n’avez rien gagné qui vaille. En revanche, nous savons ce que vous, Monsieur le président de la République, avez perdu. Ce que vous avez perdu n’est pas estimable, car votre décision a touché à la substance de la qualité d’un bon guide : la crédibilité. Nous doutons que vous ayez triomphé contre vos opposants. Par contre, nous restons persuadés que les coups ont surtout fait mal à nos institutions.
Ce sont justement elles qui se sont senties agressées, malmenées et tournées en bourrique. L’institution présidentielle en a également pris un sacré coup. La parole reniée du Chef de l’Etat, dis-je, est une catastrophe. Le Président a laissé croire par une malicieuse ruse insensée que la convocation de l’Assemblée nationale en session extraordinaire était nécessaire et sincère, car procédant de bonnes et louables intentions. Oh que non ! Vous avez laissé au peuple, seul dépositaire de la souveraineté nationale – c’est lui qui vous a donné mandat pour défendre ses intérêts, en toute circonstance-, le sentiment que la session extraordinaire convoquée irait à son terme. En épuisant la totalité des points inscrits à son ordre du jour, y compris celui prévoyant un débat sur la DPG. Un ordre du jour librement fixé par le président de la République, lui-même qui a joué avec les nerfs des citoyens avant de les mettre devant le fait accompli.

Le détournement de procédure utilisé pour perpétrer un coup en dessous de la ceinture des Institutions n’honore personne, et fragilise l’Etat. Le débat budgétaire (manqué) méritait une belle vengeance qui passera par un malicieux leurre, même pas subtile, imaginé et exécuté par la plus haute autorité du pays. Vous avez volontairement affaibli votre parole, en décidant de faire plaisir à un camp, le vôtre. Vous avez décidé d’accompagner, à la limite de la déraison votre Premier ministre qui avait envie de prendre une implacable revanche sur les représentants du peuple. Ceux-là qui ont eu l’outrecuidance d’exiger de lui qu’il remplisse son devoir impérieux prescrit par la Constitution : présenter devant eux une DPG, devaient payer. C’est ce que le premier Ousmane Sonko disait autrement, non sans une certaine perfidie, quand il déclarait que « les députés seraient préoccupés par d’autres choses, plutôt que de s’occuper à voter une motion de censure contre lui, le 12 septembre ».
Le président se soumettra, sans aucune réserve, à cette envie de vengeance clairement exprimée par son Premier ministre. Excellence, Monsieur le président de la République, vous avez décidé de sauver la face devant le refus obstiné du Premier ministre de vous obéir. Vous avez préféré perdre la face devant l’opinion nationale, plutôt que de gouverner en exigeant de lui qu’il obéisse à vos instructions, telles que celles-ci sont apparues dans le décret ayant convoqué la session extraordinaire du parlement. Nous conclurons notre propos en citant le philosophe Sénèque, qui en parlant de l’art de gouverner, dit ceci : « La colère est comme une avalanche qui se brise sur ce qu’elle brise ». C’est dire que la colère fondée sur un désir de vengeance, tentant de briser nos institutions, pourrait, tôt ou tard, produire un effet de boomerang contre tous ceux qui l’ont provoquée, pour devenir ainsi une avalanche dévastatrice qui tue.

Par : Par Abdou Latif Coulibaly

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